Les formations professionnelles face à la débrouille – Régional-IT
Coronavirus oblige, les écoles ont fermé leurs portes. Le télétravail est recommandé, dans la mesure du possible, pour les entreprises ou les personnes actives, au sens large. Cette période de “chômage technique” plus ou moins prolongée pourrait être l’occasion pour les employés et professionnels de se former. Mais voilà, les centres de formation, eux aussi, sont amenés à mettre un terme à leurs activités en présentiel
Dans quelle mesure les formations à distance pourront-elles prendre le relais? Les modules de formation dématérialisés sont-ils présents en suffisance? D’autres pourront-ils être ajoutés au répertoire au pied levé? Au-delà des outils de vidéoconférence, il en existe d’autres, de type collaboratif. Ils se sont d’ailleurs multipliés ces dernières années. Mais reste à surmonter – au minimum – trois obstacles: l’aptitude des formateurs à se les approprier et à adopter de nouvelles pratiques, la faculté d’adaptation des apprenants et leur degré d’équipement à la maison (la robustesse et le débit des infrastructures vont être mis à rude épreuve) et l’adéquation des contenus de formation.
Un petit exemple encourageant
Comment les acteurs de la formation professionnelle réagissent-ils et s’organisent-ils? L’expérience forcée que nous vivons sera l’occasion de faire un petit bilan intéressant.
Premier arrêt chez Interface3 Namur, une structure relativement modeste (12 personnes) dont le statut est relativement aléatoire et non balisé (asbl dédiée à la formation mais sans agrément comme centre d’insertion socioprofessionnelle ou centre d’expertise par exemple). Son budget de fonctionnement est souvent un “patchwork” en termes de composition et de provenance: formations propres et missions d’animation et accompagnement pour d’autres structures, actions de sensibilisation dans les écoles, actions en sous-traitance pour des acteurs tels que les Centres de compétence du Forem ou le Cefora, subsides pour projets thématiques…
Pour Interface3 Namur, qui aide des personnes en recherche d’emploi ou en déficit socio-économique à se former au numérique et à acquérir des compétences diverses, l’annonce de l’arrêt des activités en présentiel fut un petit coup de tonnerre. “Nous avions certes déjà pensé, par le passé, à la piste de l’e-learning, pour l’ajouter à notre catalogue. Mais sans réellement nous y arrêter. Notamment parce que la question du financement et du budget devait être tout d’abord étudiée”, indique Christine Forment, directrice d’Interface3 Namur.
Heureusement, il se trouvait, dans l’équipe (12 personnes), un formateur qui était plus versé que d’autres en outils collaboratifs à distance et qui, en catastrophe, a inculqué le b.a-ba à ses collègues. Histoire de pouvoir faire basculer en urgence quelques formations en mode e-learning.
Le choix de l’outil s’est porté sur Microsoft Teams. D’autres pistes – en open source (Framasoft…) – ont été explorées mais, pour l’instant du moins, n’ont pas été retenues en raison de la stabilité parfois bancale des infrastructures serveur de ces prestataires. Les serveurs d’acteurs tels que Google ou Microsoft ne sont d’ailleurs pas non plus exempts de reproches à cet égard. Problèmes passagers de montée en puissance?
Si nous avons pu le faire…
En ce début de semaine, Interface3 Namur a donc pu basculer deux de ses formations longues – développeur Web back-end junior et développeur Web back-end data (durée resp.: 6 et 8 mois) – et celle dédiée à la découverte des métiers IT vers un mode virtuel.
“SI la découverte des métiers IT avait entamé sa dernière phase, nous venions tout juste de démarrer les deux autres et nous ne voulions pas arrêter les formations, d’autant plus que les apprenants [appelés “stagiaires” par Interface3 Namur] avaient clairement signalé leur volonté de continuer. Un signal qui nous a d’ailleurs agréablement surpris…”, indique Cécilia Icard, conseillère Emploi et formation chez Interface3 Namur. “Toutes nos formations ne pourront malheureusement pas être adaptées, ou pas aisément, au format électronique.”
Cécilia Icard (Interface3 Namur): “Nous nous sommes formés en une journée à l’outil.”
Le basculement impose de toute façon une logistique à revoir. Dès ce début de semaine, avant l’annonce du confinement, sept des douze collaborateurs de l’asbl opéraient déjà de chez eux. Mais tous n’étaient pas forcément équipés ou avaient des soucis de bande passante. Idem, bien entendu, du côté des apprenants (12 personnes par module de formation). Pour ceux d’entre eux qui ne disposaient pas de matériel à domicile, Interface3 Namur a trouvé une solution-sparadrap: la mise à disposition de quelques systèmes pas franchement nouveaux que l’asbl avait collectés, voici peu, dans le cadre de son projet Récup’ et TIC.
Les apprenants sont demandeurs
En début de semaine, même en tenant compte des stagiaires qui se sont retrouvés sans équipement, le taux de “présence” aux formations avoisinait les 90%. Une autre preuve en est donnée (en ce début de confinement en tout cas) par le fait que les chercheurs d’emploi qui se tournent vers Interface3 Namur continuent de s’inscrire aux séances d’informations planifiées en vue d’être acceptés dans de futures formations Tactic Emploi qui, elles, ont déjà été annoncées comme reportées à plus tard.
Une solution de dépannage
Même si, pour partie, l’équipe d’Interface3 Namur a pu parer au plus pressé, nos deux interlocutrices insistent sur le fait que, dans l’état actuel des choses, l’offre en-ligne n’est qu’une “solution de dépannage”.
Les outils offrent certes des possibilités de collaboration et d’interaction mais avec des problèmes réguliers (fonction qui se plante de temps en temps, bande passante capricieuse qui ne supporte pas toujours le mode chat…).
La concentration des apprenants – et leur motivation à plus long terme – seront aussi des défis à relever et à résoudre. L’un des “outils” qu’Interface3 Namur utilise, en soutien aux cours en-ligne via Microsoft Teams, est Facebook. Chaque cohorte d’apprenants bénéficie de sa propre page, en mode groupe privé (c’était déjà le cas avant la crise du Covid-19 mais la pratique a été renforcée). Ils peuvent y trouver des liens vers des ressources, des offres d’emploi correspondant à leurs profils spécifiques… Interface3 Namur y poste certaines informations, pour un support pendant ou après la formation, ou y a recours lorsque la communication flanche du côté de Microsoft Teams…
Autre raison de cette notion de “solution de dépannage”, le contenu de certaines formations sera plus difficile à “convertir” en mode virtuel. Un travail pédagogique devra sans doute être livré pour rendre les contenus utilement “consommables” à distance. Ce qui ne se fait pas au débotté…
Autre aspect des choses, dans le cas d’Interface3 Namur, une série d’activités tombent carrément à l’eau (tout ce qui est accompagnement, animation pour d’autres organismes, actions de sensibilisation dans les écoles…) ou sont pour l’instant suspendues dans les limbes, dans l’attente d’éclaircissement sur les modalités d’aide financière possible pour des asbl au statut un rien atypique comme l’est Interface3 Namur.
Plusieurs collaborations avaient été planifiées ou étaient en passe de l’être – avec Technobel, avec l’Agence du Numérique dans le cadre d’un projet green IT/économie circulaire, pour préparer le programme Evolutic… Tout cela est reporté, suspendu, annulé…
La débrouillardise toujours aussi efficace
Le message en mode “oui on peut” que désire faire passer l’équipe d’Interface3 Namur est que “même un acteur moyen comme nous, avec une équipe qui, à la base, n’était pas outillée, prouve que c’est faisable.”
Il y a d’autres raisons à ce volontarisme… D’une part, la situation budgétaire précaire et la nécessité de préserver l’emploi (le plus possible) pour les membres de l’équipe exigent de continuer à fonctionner, dans la mesure du possible. D’autre part, “c’est notre place. Notre raison d’être est de former les gens au numérique. Nous sommes porteurs d’outils numériques en-ligne. Ce serait un non-sens de ne pas nous les appliquer à nous-mêmes”, souligne Christine Forment.
Christine Forment et Cécilia Icard (Interface3 Namur): “Même si la situation actuelle est entièrement nouvelle, devoir rechercher et trouver par nous-mêmes des solutions n’est pas nouveau pour nous. Nous avons la chance d’avoir l’habitude d’être davantage dans la créativité et dans la proactivité”.
A condition de garder le moral et de tenir la distance, Interface3 Namur (comme d’autres d’ailleurs) pourra aussi, une fois la crise passée, servir d’exemple vivant pour le déploiement de nouvelles pratiques et compétences. “En termes d’utilisation des outils, la demande de la part des chercheurs d’emploi était déjà bien présente. La crise actuelle ne fera donc pas bouger les lignes, à proprement parler, mais peut-être la demande sera-t-elle plus forte quand tout cela sera fini”, estime Cécilia Icard.
“Nous connaissons et pratiquons déjà différents outils collaboratifs. Ce que l’on constate notamment aujourd’hui, c’est qu’ils ne sont plus seulement des outils-gadget mais ont une réelle raison d’être à usage professionnel”.
Pour terminer, nos deux interlocutrices apportent une touche d’optimisme qui correspond bien à l’esprit qui doit être le nôtre, à tous, en cette période exceptionnelle: “Même si la situation actuelle est entièrement nouvelle, devoir rechercher et trouver par nous-mêmes des solutions n’est pas nouveau pour nous. Nous avons la chance d’avoir l’habitude d’être davantage dans la créativité et dans la proactivité”.
Article du Régional-IT du 19/03/20, écrit par Brigitte Doucet